Première séance
ça y est, c’est parti ! Le travail en profondeur a commencé. Allongée confortablement, les yeux fermés, j’ai commencé à respirer profondément et à détendre mon corps. Inspirer à fond, tendre tous mes muscles à fond et expirer à fond tout en détendant chaque muscle petit à petit. A répéter plusieurs fois. Puis le travail commence.
Je suis la petite Christelle qui joue, dans la campagne, avec des pommes de pin, insouciante. Apaisée. Je ne me sens pas seule. La Christelle adulte est là. Elle veille sur elle.
Je dois me lever et aller vers la maison de la famille d’accueil. Je n’en ai pas envie. J’ai peur. Mon corps se raidit. J’ai mal au ventre. Mon souffle s’accélère. La grande Christelle me prend la main en me disant « allons-y, tu ne crains rien. Je suis avec toi ». Mon corps se relâche. Je n’ai plus mal au ventre. Mais j’ai la gorge serrée.
Je dois ouvrir la porte, entrer et aller jusqu’à la Mère.
Je suis sur la défensive. Je suis impressionnée. J’ai à nouveau très peur. Je me sens complètement seule et sans défense. Je suis tétanisée. Et c’est là que la confrontation commence.
Je dois la regarder dans les yeux, sans jamais détourner le regard. Je dois rester dans mes émotions, ne pas les fuir, les vivre à fond. Tout en essayant de détendre mon corps en respirant profondément. Encore. Je dois lui dire à haute voix ce que j’ai envie mais rien ne me vient. Je suis en colère. Je suis profondément triste. Puis je le lui dis « mais comment oses-tu faire cela à une enfant ?! comment oses-tu me faire cela ?! Je suis toute petite. je n’ai pas demandé à être ici. Je voudrais juste être aimée, que tu me prennes dans tes bras et me donnes de l’affection ! » Elle me répond (je dois aussi le dire à haute voix) « tu n’es pas ma fille. Tu n’es qu’une intruse et une sale arabe. Ce n’est pas ta maison ! ». Je continue à soutenir son regard. A respirer.
C’est normal que je ressente tout cela. Que j’aie envie de dire tout cela. La Mère est le mal, pas moi. Ce qu’elle fait à mon corps ne m’atteint pas moi, celle que je suis au fond. Une enfant créative et pleine d’imaginaire. Et je rajoute « Tu n’as pas à me frapper, à m’enfermer dans la cave, à me faire remanger mon vomis, à me faire lécher une robe pleine de bouse ! Je ne mérite pas ça ! Je ne suis pas là pour cela. On m’a placée ici car je n’avais nulle part où aller. Je suis seule et sans défense. Tu dois prendre soin de moi ! »
Je continue à la fixer du regard et c’est bizarre, je commence à avoir de la compassion pour elle. Normal. Je ressens de l’amour. Il est bien là. Malgré tout. En moi. Elle n’a pas réussi à m’atteindre. Je continue à détendre mon corps, via la respiration, et j’y arrive enfin. Je change de regard sur elle. Ce qu’elle me fait endurer heurte mon corps mais pas moi. Oui c’est très douloureux et inhumain mais c’est parce qu’elle est malade, elle fait le mal. Je ne suis pas le mal. Non. Ce n’est pas moi le mauvais. Je ne suis qu’une petite fille en demande d’amour. Je voudrais qu’on me sauve, qu’on me sorte de là. Mais ce n’est pas arrivé. J’ai souffert. Beaucoup. Je me sens énormément seule. Mais Elle ne m’a pas atteinte, Moi.
Tout à coup, mon corps se relâche complètement. Je souris même. Je me sens bien.
A présent, je suis sur une plage, sur le sable chaud et doux. J’entends le va-et-vient des vagues. Plus ou moins fort. Plus ou moins proche. Je me laisse bercer par le murmure des vagues et de la brise légère. Je suis complètement détendue.
« A 3, vous pouvez ouvrir les yeux lentement. 1…2….3 »
Fin de la première séance.