Voilà encore un gros chapitre ! mdr ! J’ai vécu la relation avec ma mère qu’au travers de mes ressentis que je vous livre maintenant… ce sera sous forme de souvenirs hachés.

A mon retour de la famille d’accueil, donc à mon retour chez moi, lorsque j’observais ma mère, j’avais des sensations étranges. Son regard sur moi était noir, froid, vide. Ce n’était pas celui qu’elle avait pour mon frère et ma soeur. Même s’il ne sait pas y mettre des mots, un enfant ressent les choses et vit au travers de ces perceptions. Elle adorait parler de mon frère et ma soeur lorsqu’on avait de la visite. Elle était si fière d’eux. Que ma soeur était belle, elle ! Dans ces moments, on aurait dit que je n’existais même pas. Dans ma propre famille, aux yeux de ma propre mère. Je commençais à avoir une présence lorsqu’il fallait faire la vaisselle par exemple ! lol

A ces yeux, je devais juste l’aider, être utile. Aujourd’hui, avec du recul, je me dis que ce n’était pas la réalité, juste une vision d’un enfant blessé. Mais au final, ma vie d’enfant au sein de ma vraie famille était de faire le ménage, les repas, de me rendre serviable. Ah ben oui tiens ! si si ! elle parlait de moi ! elle disait que j’étais très serviable justement ! Avais-je seulement le choix ?! Car moi, comme je n’étais qu’une enfant, je ne faisais qu’obéir. Je n’ai clairement pas eu d’enfance car ma mère m’a toujours dit que je comprenais, moi. Pourquoi la situation était comme cela et pas autrement. Je ne sais pas pourquoi, elle m’a toujours traitée différemment. Un peu comme si on n’avait jamais eu le lien mère/enfant. Elle me considérait comme un petit adulte qui ne pouvait que comprendre, qui ne devait que comprendre. Mais comprendre quoi ? Moi, ce que je sentais ou voyais, c’est que ma mère ne se comportait pas normalement. Et il n’y avait que moi qui le voyais. Lorsqu’elle se déplaçait par exemple. J’avais l’impression que c’était une ombre qui bougeait. Je ressentais une chose terrible que je ne savais pas définir comme je n’étais qu’une enfant. Et j’ai passé de nombreuses années avec ces mauvaises sensations. Je me sentais mal à ses côtés.

Puis vint le jour où tout cela a pris son sens. Tout s’est accéléré. Je l’ai vue se dégrader, sombrer peu à peu. Personne n’avait l’air de s’en rendre compte. Puis un jour, nous sommes rentrés de l’école. Elle nous attendait. A moi, rien qu’à moi, elle m’a dit qu’elle devait aller à l’hôpital et que j’étais assez grande pour comprendre. Que je devais l’expliquer à mon grand frère et à ma soeur. Mais comprendre quoi ! zut ! Elle partit sans que je puisse en savoir davantage. Et depuis ce jour, j’ai vécu dans l’angoisse du téléphone qui sonne pour annoncer une mauvaise nouvelle. J’ai réellement dû devenir un adulte pour tout gérer. Prendre sur moi. Avancer. Faire avec ces changements qui furent lourds de conséquences dans le quotidien.

Je me souviens être allée la voir à l’hôpital. En arrivant, je l’ai découverte en train de déambuler dans les couloirs à moitié vêtue disant je ne sais quoi. J’ai eu si peur que je n’ai pas osé l’approcher. Puis je me suis dit que j’allais lui faire du mal si je ne venais pas vers elle. J’y suis allée, la peur au ventre, ne sachant pas qui j’avais en face de moi. Ces sensations étranges que j’avais toujours eu en sa présence se confirmaient et s’accentuaient. J’ai eu mal au ventre. Un mal qui me rongeait et qui ne me quittait plus. Et ma solitude empirait. J’étais seule dans ce nouveau cauchemar. Personne autour de moi, en dehors de ma famille ne pouvait imaginer ce que j’endurais. A l’école, j’étais toujours souriante, dynamique. J’étais, je cite, « la meilleure de la classe » – d’ailleurs, pour mes camarades, c’était une tare. Ils me traitaient d’intello. Et petit à petit, je me suis débilisée pour m’adapter à leur vision. A l’école, je ne voulais pas que l’on sache pour nous. J’avais honte.

Avec le temps, ma mère a fait des allers retours entre chez nous et les hôpitaux psychiatriques. Elle est même allée dans un hôpital pour malades lourdement atteints. On allait lui rendre visite et à chaque fois, j’avais mal au ventre. Je me souviens de la première fois : toutes les portes étaient verrouillées électriquement. Et lorsque nous entrions, nous ne voyions qu’une suite de portes métalliques verrouillées elles aussi. Une prison pour malades mentaux ! le pire, c’était les cris de ces malades. Je ne comprenais pas ce qu’ils criaient mais j’entendais leur détresse. Ce fut horrible. Un autre monde. Un monde que je ne voulais pas connaître. Un monde qu’on m’obligeait à connaître. Un monde où ma mère m’a plongée !

Quand elle réussissait à rester un peu chez nous, cela ne durait pas. Un matin, alors que j’étais dans mon lit, je l’entendais. J’entendais claquer les opercules de ses médicaments, les uns après les autres. Bien au-delà de la prescription. Toute la plaquette ! Je savais ce que ma mère faisait. J’avais si peur ! J’ai hésité entre me lever et l’aider ou faire comme si tout était naturel. Je décidai d’ignorer ; je me cachai sous mes couvertures en me bouchant les oreilles. Puis mon coeur accéléra. Je ne pouvais pas rester sans rien faire. Il n’y a que moi qui l’entendais visiblement. Je me levai donc, courus à toute vitesse dans la cuisine. Quand je suis arrivée, elle avait la bouche pleine de médicaments. Quel effroi ! Sans réfléchir, je l’ai giflée. Rien ne se passa. Je lui ai alors serré les joues aussi fort que je l’ai pu pour qu’elle ouvre la bouche. Et j’y ai plongé mes doigts pour faire sortir tous ces médicaments. Elle a ensuite appelé les pompiers.

Il y en a eu d’autres de ces appels « j’ai fait une bêtise ». Je me souviens qu’une fois, mon père s’est énervé contre elle en lui disant qu’un jour, on rentrerait de l’école et qu’on la découvrirait morte par terre. Il ne voulait pas que cela arrive. Car en plus de prendre des cachets, elle se coupait régulièrement les veines. Peu de temps après, ils décidèrent de l’interner définitivement – enfin tant qu’elle ne serait pas totalement guérie. J’avais alors 14 ans. Elle est toujours en établissement médicalisé au jour d’aujourd’hui.

J’en viens donc à mon traumatisme lié à ces événements. Hormis les atrocités auxquelles j’ai assisté, à chaque visite, voir les plaies sur les poignets, aux bras, au cou même !, les bandages et parfois même un peu de sang sur les bandages. Voir toutes ces cicatrices par la suite. Encore aujourd’hui, j’ai beaucoup de mal à les regarder. Hormis donc ces visions d’horreur, le pire, ce sont les sentiments développés tout ce temps. Je souffrais tellement de voir ma mère dans cet état de détresse profonde, de ne pouvoir rien y faire, de ne pas pouvoir l’aider. Ma souffrance était immense et s’ajoutait à celle éprouvée en famille d’accueil. Je me suis sentie morte et vide à l’intérieur et je savais que c’était pour toujours. Tout au fond, j’étais éteinte. Et pour éviter une plus grande souffrance, je me suis convaincue que je n’éprouvais plus rien pour ma mère, que cette situation ne m’atteignait plus. Je me suis blindée ; je me suis construit une véritable forteresse sentimentale. Plus rien ne pouvait m’atteindre ! Et de ma mère, je m’en fichais complètement ! et je le lui montrais. Jusqu’à ce qu’il y a très peu de jours, je clamais haut et fort que je n’aimais pas ma mère, que ce n’était d’ailleurs pas ma mère mais seulement ma génitrice.

Voir sa propre mère dans une souffrance incommensurable est inimaginable. Cela a un tel impact que j’ai eu l’impression de sombrer avec elle. D’ailleurs, je compris par la suite d’où venaient ces sentiments noirs que je voyais lorsque j’observais ma mère à mon retour de famille d’accueil. En fait, ma mère ayant vécu de gros traumatismes elle aussi en famille d’accueil, projetait sur moi la façon dont elle avait été traitée ainsi que toute sa souffrance. J’étais un réceptacle pour elle. Jusqu’à même me coiffer comme elle, à me faire me sentir honteuse et mal dans ma peau. Enormément de choses en moi viennent de ce que ma mère m’a renvoyé de moi même. Et moi, je pense que j’ai toujours su qu’elle était malade.

Et pour finir, ma mère m’a toujours dit que sa maladie était héréditaire. Dernièrement, elle m’a dit que je lui ressemblais. Et moi, je refuse de lui ressembler. J’ai cette épée de Damoclès sur ma tête depuis toujours. Elle devient de plus en plus lourde. Elle m’effraie. Elle m’angoisse !