S’il y a bien un endroit où j’aimais aller pendant ma période « famille d’accueil », c’était à la ferme. On y était libre, sans contrainte. On passait tout notre temps dehors, loin de tout, loin des adultes, loin d’eux. On jouait tout autour. Il y avait un endroit que j’aimais beaucoup : « le cimetière des voitures » comme je l’appelais. Derrière la maison, il y avait de vieilles carcasses de voitures entassées. Et un peu en contrebas, un petit cabanon…

C’est dans ce cabanon que cela se passait. Le père de la mère de la famille d’accueil, le grand-père donc, m’y trainait. Je me souviens de la toute première fois. Mon instinct d’enfant me disait que c’était étrange qu’il m’y emmène seule, que c’était dangereux. C’est drôle comme un enfant sent les choses même s’il ne les connaît pas. La notion de l’interdit…

Je l’entends encore me dire de venir, de me le chuchoter. Par la suite, à chaque fois, cela me glaçait le sang. Mais j’ai toujours obéi. Ne répétant le comportement que je n’avais cesse d’avoir depuis que j’étais arrivée dans cette famille d’accueil : obéir, baisser la tête, se faire toute petite.

Puis il s’asseyait dans un recoin caché. Il descendait la fermeture éclaire de ses pantalons. Moi, j’étais effrayée. Je ne saurais dire combien de temps cela durait mais pour moi, il s’agissait d’une éternité. Je me demandais ce qu’il allait me faire voir ou me faire faire ou me faire. Je voulais pleurer mais tout restait bloqué. Je savais qu’il ne fallait pas faire de bruit. J’étais docile. Je n’étais qu’une toute petite fille. Ensuite, il me prenait la main et me la mettait sur son slip. C’était chaud. Je sentais un truc d’une forme bizarre et un peu mou. Il me faisait le caresser. Après, il me mettait la main dans son slip. Et là, je savais ce que c’était. Je sentais son pénis durcir. Je devais le caresser.

Puis il m’arrêtait un court instant pour me montrer comment il fallait le masturber. Je l’entends encore me dire : « vas-y ! prends-la moi ! Branle-moi ! ». Je m’exécutais, encore. Après tout, je n’étais qu’une toute petite fille qui n’avait pas encore 6 ans. Je sens encore son souffle chaud haletant. Ces sensations bizarres de cette petite peau faisant des va-et-vient. Son pénis devenait de plus en plus gros. Ma main était trop petite. Les premières fois, il finissait tout seul, voulant me montrer comment je devais m’y prendre pour lui faire plaisir.

Mais d’autres fois, cela ne lui suffisait pas. Je me souviens de la première fois où il a voulu que je le suce. Quelle horreur ! cette odeur répugnante de pisse et de je ne savais quoi d’autre ! ce truc qui entrait à peine dans ma bouche, qui m’étouffait ! J’entends encore ses mots « vas-y, fais moi du bien. Tu seras gentille. Suce-moi. Doucement oui comme ça. Lèche la un peu. Et tu veux pas lui faire un bisou ? » Et son souffle au-dessus de ma tête qui se faisait de plus en plus rapide. J’étais horrifiée. Sans défense. Seule au monde. Me demandant ce que j’avais fait pour recevoir un tel traitement. Le désespoir m’avait envahie. Il ne me quitta plus.

Pourquoi ne pas en avoir parlé ? Vu le contexte, qui m’aurait crue ? Et je n’avais aucune confiance en personne. Je ne me sentais en sécurité nulle part. En fait, je ne voyais autour de moi qu’un immense vide, tout noir. En permanence. J’étais tellement, mais tellement triste !

C’est drôle les capacités qu’a notre cerveau à nous faire occulter l’insupportable. Car ces épisodes ne me sont revenus en mémoire qu’à l’adolescence. Parfois, je me dis que ce sont ces ressentis qui me poursuivent et qui font ma part sombre. Ma part sombre serait les angoisses de moi petite, de « la petite Christelle » comme je l’appelle…